Quel est le lien entre la peau et la voix, entre le toucher et l’écoute, dans le cinéma de Marguerite Duras? Dans l’univers du cycle de films réalisés en 1979 (Cesarée, Les Mains Négatives, Aurélia Steiner (Melbourne), Aurélia Steiner (Vancouver) et Le Navire Night) on avance à tâtons, dans le noir: on voit à travers la membrane de la peau, à travers les membranes poreuses de l’oreille. En bouchant la vue du spectateur, Duras crée les conditions propices à la stimulation d’une forme de synesthésie au cinéma qui, paradoxalement, permet une profonde expérience sensorielle. A travers cette expérience étrange, Duras nous amène à un espace pré-verbal – espace maternel, lieu et temps de ce que le psychanalyste Didier Anzieu a dénommé le ‘moi-peau’. Elle développe des techniques novateurs en ce qui concerne la manipulation du toucher et du son à l’ecran, afin de realiser son objectif de stimuler chez le spectateur la sensation d’etre enveloppé dans des ‘enveloppes psychiques’ (Anzieu) – les couches d’expérience sensorielle précoce qui constituent les fondements du moi primitif. Dans ce lieu, Duras ré-active chez le spectateur un chagrin non-résolu, le deuil subi au moment de la séparation du premier corps, premier objet du désir. Ici, le corps du spectateur ressent la force et de la pulsion de vie, et de la pulsion de mort.
Dans cette communication, j’examine l’étrangeté de l’expérience sensorielle stimulée par Duras dans ces films de 1979. Pour ce faire, je considérerai les films à la lumière des théories de la voix, de l’audition et du toucher développées dans le domaines de la psychanalyse contemporaine.